Pourquoi étudier les moustiques est-il important dans la lutte contre le paludisme ?

Le paludisme reste l’un des principaux problèmes de santé publique mondiale, touchant des millions de personnes chaque année, en particulier en Afrique. Face aux défis posés par la résistance des moustiques aux insecticides et l’adaptation des parasites, la recherche scientifique explore de nouvelles stratégies pour réduire la transmission de la maladie dans le monde. Parmi elle, la génomique des moustiques. En étudiant le matériel génétique des principaux vecteurs du paludisme, les chercheurs espèrent mieux comprendre leur biologie, identifier les gènes impliqués dans la transmission et, à terme, développer des méthodes de lutte plus ciblées et durables. Quels sont les progrès réalisés dans ce domaine ? Comment les moustiques génétiquement modifiés pourraient-ils contribuer à réduire la propagation du paludisme ? Quelles sont les limites et les perspectives de cette technologie ? Y -a-t’il vraiment des moustiques génétiqument fabriqué en laboratoire ? Dans cette interview, le Dr Mahamadi Kientega, entomologiste médical, spécialiste en génomique des vecteurs du paludisme tente d’y apporter des réponses.

Qu’est-ce que la génomique des moustiques ?

La génomique des moustiques est un domaine d’étude qui vise à comprendre le génome des moustiques, c’est-à-dire l’ensemble du matériel génétique afin de développer des méthodes ou stratégies de lutte contre les maladies qu’ils transmettent.

Quelles sont les espèces de moustiques qui font l’objet d’études génomiques pour lutter contre le paludisme ?

De nombreuses espèces de moustiques font l’objet d’étude génomique, en passant des non-vecteurs aux vecteurs de pathogènes, mais dans le cadre de la lutte contre le paludisme en Afrique, la plupart des études se concentrent sur les espèces du complexe Anopheles gambiae et du groupe Anopheles funestus qui sont les vecteurs majeurs du paludisme en Afrique. Les principaux vecteurs du paludisme des autres continents font également l’objet de nombreuses études génomiques dans le même objectif de comprendre la dynamique et la diversité de leur génome afin de développer des méthodes de lutte efficaces.

Comment la génomique peut-elle aider à identifier les gènes impliqués dans la transmission du paludisme ?

La génomique fait partie d’un ensemble de domaines d’étude appelés domaines « omiques » dont l’objectif est de comprendre les molécules biologiques. Ainsi, pour l’étude des fonctions des gènes, la génomique se joint à la transcriptomique et la protéomique pour identifier la séquence d’ADN du gène, étudier sa fonction et son mode d’expression. L’étude des gènes impliqués dans la susceptibilité au Plasmodium chez le moustique et chez l’homme suit les mêmes procédures à savoir l’identification de la séquence d’ADN, l’étude de la fonction de la séquence et l’organe dans lequel le gène est exprimé.

Fabrique-t-on réellement des moustiques en laboratoire ?

Non, les moustiques ne sont pas fabriqués au laboratoire. Ce sont des êtres vivants comme les autres animaux. En effet,  les moustiques des laboratoires proviennent des collectes effectuées dans le milieu naturel pour être maintenus au laboratoire à des fins d’étude afin de comprendre leur bio écologie, leur génétique, leur mode reproduction et leur rôle dans la transmission des pathogènes dans le but de développer des méthodes efficaces de lutte.

Qu’est-ce qu’un moustique génétiquement modifié ?

Tout moustique dont Ie matériel génétique a été modifié autrement que par multiplication ou recombinaison naturelle est considéré comme un moustique génétiquement modifié (selon la loi 064 de 2012 portant régime de sécurité en matière de biotechnologie au Burkina Faso).

Quels sont les moustiques génétiquement modifiés actuellement utilisés ou testés pour lutter contre le paludisme ?

De nombreux travaux de recherche sont en cours pour développer des moustiques génétiquement modifiés pour réduire la charge du paludisme. La plupart de ces travaux ciblent les meilleurs vecteurs, notamment An. gambiae et An. funestus du fait de leur grande contribution à l’épidémiologie du paludisme dans le monde. Cependant, tous ces travaux sont en phase de recherche et les produits ne sont pas utilisés sur le terrain dans le cadre de la lutte contre le paludisme. A ce jour, les moustiquaires, les pulvérisations intra domiciliaires, les spirales, les sprays et l’aménagement du territoire sont les principaux moyens opérationnels de lutte antivectorielle contre les vecteurs du paludisme.

Quels sont les succès obtenus jusqu’à présent grâce à l’utilisation de la génomique et des moustiques génétiquement modifiés ?

En décryptant l’ensemble du matériel génétique des êtres vivants, la génomique a occasionné de nombreux succès dans la médecine, l’agriculture, l’élevage, l’environnement, la conservation des espèces, la criminalistique etc. En médecine par exemple, l’étude du génome humain a produit de nombreuses avancées dans le diagnostic et la prise en charge des maladies à savoir le développement des méthodes de diagnostic précoce, des thérapies personnalisées, de nouveaux traitements, des vaccins etc. En agriculture, la génomique a produit également des connaissances qui ont permis l’amélioration et création de nouvelles variétés, l’amélioration des rendements, la qualité nutritionnelle des aliments etc. L’analyse de l’ADN a également boosté la criminalistique, permettant d’identifier des suspects avec une précision inégalée. La génomique a ouvert de nouvelles perspectives dans de nombreux domaines et continue de révolutionner notre compréhension du vivant. Les avancées dans ce domaine offrent de nombreuses promesses pour l’avenir, notamment en matière de santé, d’agriculture et d’environnement.

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Les recherches sur les moustiques génétiquement modifiés sont prometteuses et ces outils pourront contribuer à réduire considérablement le fardeau du paludisme selon les différents travaux de recherche en cours.

Peut-on envisager l’éradication totale du paludisme grâce à ces avancées ?

Selon les travaux de recherche en cours, les avancées scientifiques engrangées en génomique et génie génétique peuvent contribuer à réduire considérablement le fardeau du paludisme.

Les innovations technologiques en cours sont des moyens complémentaires aux outils existants afin de nous permettre d’arriver à bout du paludisme.

Quelles sont les limites actuelles de la génomique et des moustiques génétiquement modifiés ?

Comme toute science, la génomique et la modification génétique des moustiques demandent un investissement en termes de ressources humaines et financières. La recherche demande aussi du temps pour permettre aux scientifiques d’apporter des solutions qui soient sûres et qui répondent aux besoins des communautés.

La recherche bien que prometteuse, rencontre plusieurs défis, à savoir la complexité des génomes, le travail sur l’impact environnemental et écologique qui nécessitent plus d’investigations, les possibles mouvements transfrontières qui pourraient nécessiter une approche sous-régionale en termes de régulation.

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Malgré ces défis, la génomique et la modification génétique des moustiques offrent des perspectives prometteuses pour la santé publique et il est essentiel de mener des recherches approfondies et de prendre en compte les limites et les défis associés à ces technologies. Une approche multidisciplinaire, combinant les sciences, la régulation, l’éthique et les sciences sociales, est nécessaire pour développer des applications sûres et efficaces de ces technologies afin de réduire la charge des maladies à transmission vectorielle.

Comment intégrer la génomique des moustiques dans les stratégies de lutte contre le paludisme à long terme ?

Les vecteurs du paludisme présentent une diversité phénotypique résultant de leur complexité génétique leur permettant de s’adapter et de survivre aux changements environnementaux comme la présence des outils de lutte à base d’insecticides. De cette manière, la complexité génétique des vecteurs impacte considérablement les outils de lutte actuels à savoir les MILDA et les PID avec l’émergence croissante des multiples mécanismes de résistances. Ainsi, l’intégration de la surveillance génomique dans la lutte antivectorielle permet de suivre la dynamique génétique des vecteurs, les phénomènes évolutifs affectant la variation génétique dans la nature, l’hétérogénéité et l’émergence de nouveaux mécanismes de résistances afin d’orienter l’implémentation des outils de lutte.

 

Références

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