Une vidéo virale sue Facebook montre un homme se faisant fouetter. Le commentaire qui l’accompagne prétend que la scène a eu lieu à Bobo-Dioulasso, dans l’Ouest du Burkina Faso où le supplicié a subi la charia.
Dans une vidéo amateur tournée dans une mosquée, l’on aperçoit un homme à genoux, en train d’être fouetté par un autre vêtu de blanc, la taille ceinte d’un étoffe rouge. La vidéo qui cumule plus de 3000 partages et 608 commentaires, a été publiée le 12 juillet 2021 par Ousséni Tapsoba sur son compte Facebook avec comme légende : « Ça se passe à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. Petit à petit de la laïcité il ne reste que le mot ».
Pareil supplice relatif à l’application de la charia a-t-il vraiment eu lieu à Bobo-Dioulasso ? Interrogé sur l’origine de la vidéo, Ousséni Tapsoba, n’a à jusqu’à ce jour fourni aucune réponse.
Capture d’écran de la requête auprès de l’auteur du post
D’où vient la vidéo ?
Des recherches inversées d’images faites à partir des captures d’écran de la vidéo avec les outils Google Reverse Image, Baidou, Tineye et Yandex n’ont pas permis de situer l’historique de la vidéo sur internet pour en déterminer la date de sa première mise en ligne.
Toutefois, ces investigations nous ont renvoyés à des faits similaires observés en 2012 à Tombouctou au Mali. Depuis 2012, selon Human Right Watch, des groupes djihadistes et islamistes appliquent de gré ou de force une forme de charia (amputation, flagellation, lapidation) dans des localités du centre et du nord du Mali, notamment à Kidal, Gao et Tombouctou.
Fasocheck a aussi scruté les commentaires sous le poste Facebook de Ousséni Tapsoba. Certains d’entre eux ont affirmé que la vidéo ne date pas de 2021. Les commentateurs ont soutenu que la langue qui y est parlée n’est pas le dioula de Bobo-Dioulasso, mais plutôt le bamanan, langue parlée au Mali.
Capture d’écran de quelques commentaires menant à la piste malienne
La vidéo a-t-elle été tournée au Mali comme l’ont relevé des internautes? Relève-t-elle du lot des vidéos diffusées en 2012 et relatives à l’application de la charia dans le nord du Mali alors sous occupation djihadiste ?
Fasocheck a joint Abdoulaye Guindo et Aliou Amadou, journalistes à BembereVérif, un site malien spécialisé dans le fact-checking. Les confrères soutiennent que la vidéo a circulé dans les réseaux sociaux maliens et a été tournée « il y a quelques années » dans un village de la région administrative de Ségou, sans pouvoir pour autant préciser lequel.
« Les paroles entendues dans la vidéo sont en banmankan, une langue parlée au Mali », a expliqué Aliou Amadou, le rédacteur à BembereVerif qui par ailleurs est formel : « la vidéo ne remonte pas à 2012 et est antérieure à 2021 ».
La région de Ségou est située dans le centre du Mali qui depuis 2018 est devenue l’épicentre des attaques jihadistes au Mali. De nombreux villages de la région sont sous influence de la katiba Macina, un groupe armé islamiste affilié à Al-Qaïda au Magrheb islamique (AQMI), qui y applique la charia depuis 2015. Dans la zone, détaille un rapport d’enquête conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), opèrent également les forces armées maliennes et les groupes d’autodéfense communautaires.
La charia est-elle appliquée dans la région des Hauts-Bassins?
Fasocheck a présenté la vidéo à l’Observatoire nationale des faits Religieux (ONAFAR), un organe créé en 2015 et chargé de « surveiller les contenus médiatiques à caractère religieux ». Son président, l’Abbé Jean-Baptiste Sanou, a indiqué n’avoir pas connaissance de faits similaires à Bobo-Dioulasso et dans la région des Hauts Bassins.
Selon lui, l’accoutrement du bourreau ne correspond à celui d’aucune communauté musulmane connue de Bobo- Dioulasso et du Burkina Faso.
Le secrétaire de la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB), Ablacé Nikiéma a aussi déclaré à Fasocheck que pour l’heure, aucun cas officiel d’application de la Charia n’est connu
« Nous n’avons aucune preuve ou étude scientifique qui montre que la charia est appliquée par une communauté musulmane au Burkina Faso » a-t-il ajouté.
Cependant dans les régions du Nord, du Centre-Nord et de l’Est du Burkina Faso, a relaté Human Right Watch dans un rapport publié en octobre 2017, des groupes armés tentent d’obliger les populations à rejoindre leurs rangs, sous peine de représailles pouvant aller jusqu’à la mort au nom de la charia.
Ces groupes attaquent entre autres des églises, interdisent la vente de la viande de porc, d’alcool et de cigarettes. Ils exigent aussi la conversion à l’islam, le port du voile pour les femmes, le port de la barbe fournie et du pantalon raccourci pour les hommes.
Qu’est-ce que la charia ?
Selon l’Unesco, la charia est la loi islamique, l’équivalent du droit positif dans une République. « Il régit le droit de la personne, de la famille, du commerce, institutionnel, le pénal, etc. » a énoncé Inoussa Compaoré, imam au Cercle d’études, de recherches et de formation islamiques (CERFI).
L’imam Inoussa Compaoré a ajouté que « la charia ne s’applique pas n’importe comment » car il faut préalablement être dans un Etat islamique. Et « les conditions d’application des règles de la charia sont assez rigoureuses, avec des gens qui sont formés à cet effet ».
De plus, le droit pénal de l’islam autorisant des châtiments corporels n’est qu’« une infime partie de l’ensemble des règles de la charia » a nuancé l’imam Inoussa Compaoré.
Ces pays africains qui appliquent la charia
En Afrique, seule la Mauritanie est un Etat islamique où la charia constitue la loi fondamentale. Certaines législations d’autres pays à majorité musulmane sont inspirées de la charia, sans toutefois être des Etats islamiques. Il s’agit du Maroc, de l’Algérie, de l’Egypte et du Niger.
En Somalie, la charia est appliquée dans les zones contrôlées par les milices islamistes Chabab. Au Nigéria, 12 des 36 Etats que compte la fédération appliquent officiellement la charia. En 2019, après la chute d’Omar El Bechir, le Soudan a officiellement mis fin à trente ans d’application de la charia.
Conclusion
Aucune flagellation publique en guise d’application de la charia n’a eu lieu à Bobo-Dioulasso. La vidéo présentée faussement comme telle a été en réalité tournée au Mali, vraisemblablement dans la région de Ségou et détournée de son contexte. Fasocheck n’a pas pu remonter exactement à la date de sa première publication sur internet.
Checkeurs
Ange Lévi Jordan Méda
Harouna Drabo
Editeur
Boureima Salouka