Affirmation

Des vidéos accompagnées de commentaires en langue dioula prétendent que l’épidémie de dengue et de paludisme au Burkina Faso est due à des serres d’élevage de moustiques génétiquement modifiés appartenant à l’IRSS.

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Verdict
Il n’y a pas de lien entre ces dispositifs expérimentaux de l’IRSS et l’épidémie de dengue. Ces cases expérimentales sont utilisées pour tester l’efficacité des outils de lutte contre les moustiques à base d’insecticides.


Alors qu’une épidémie de paludisme et de dengue frappe le Burkina Faso depuis août 2023, un autre mal fait rage sur la toile : les théories de complots autour de la maladie.

Deux vidéos circulant dans des groupes WhatsApp au Burkina Faso sont accompagnées de propos faisant croire que des ONG entretiennent des serres d’élevage de moustiques à Bama, une ville de 85 834 habitants située dans l’ouest du Burkina Faso. Selon les auteurs des vidéos, cette culture de moustiques serait la cause de l’épidémie de paludisme au Burkina Faso. Ces vidéos font surface alors que le Burkina Faso traverse aussi une épidémie de dengue qui a déjà fait 214 morts. Y a-t-il vraiment une serre à élevage de moustiques génétiquement modifiés à Bama ? Ces dispositifs sont- ils la cause de l’épidémie de dengue et de paludisme ? Fasocheck a vérifié.

 

Une des vidéo reçue via WhatsApp que Fasocheck a vérifié 

Un dispositif destiné à la fabrication de produits anti moustiques

Contacté par Fasocheck, le Dr Kounbobr Roch Dabiré, entomologiste et Directeur de Recherche, au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) a été clair : “’il n’y a aucun élevage de moustiques à Bama”.

Le Dr Kounbobr Roch Dabiré a précisé que  les dispositifs visibles dans les vidéos sont des cases expérimentales appartenant à l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) à Bama. Elles servent à tester l’efficacité des produits anti-moustiques à base d’insecticides (moustiquaires, insecticides, spirales, aérosols). Les résultats de ces tests effectués sur demande de l’organisation mondiale de la santé sont utilisés par les autorités sanitaires pour « recommander l’utilisation des outils qui ont montré la meilleure efficacité à contrôler la population de moustiques » a poursuivi le Dr Dabiré.

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L’IRSS est un des quatre instituts du CNRST affiliés au ministère burkinabè de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation ( MESRSI).

Si les activités de recherches sur le paludisme à Bama datent des années 80, les cases expérimentales ont été implantées à Bama depuis les années 2000, a confié le directeur de recherche du CNRST. Le choix de cette zone s’explique par son environnement et son climat favorables à la prolifération de moustiques. La région regorge de vastes rizières et de retenues d’eau.

Dans un communiqué publié le 06 octobre 2023, le CNRST avait déclaré que les installations de l’IRSS ainsi que les recherches développées par cet institut ne sont pas responsables de l’épidémie de dengue, ni du paludisme ni de tout autre maladie qui sévit au Burkina Faso.

Du faux à rendre… dingue

Du 1er janvier au 15 octobre 2023, le Burkina Faso a enregistré 50 478 cas suspects de dengue dont 25 502 cas probable et 214 décès. Bobo-Dioulasso et Ouagadougou sont les principaux foyers de l’épidémie.

Cette épidémie a favorisé la prolifération de fausses informations sur la maladie. Certaines d’entre elles prétendent que la résurgence des cas de dengue est causée par des lâchés de moustiques génétiquement modifiés effectués en juillet 2019 dans le cadre du projet Target Malaria à Bana, une autre localité située à quelques kilomètres de Bobo-Dioulasso dans l’ouest du Burkina Faso.

Un lâcher de 6400 moustiques génétiquement modifiés a bien eu lieu en 2019 à Bana dans le cadre du projet Target Malaria. Mais l’IRSS qui a conduit les travaux de ce projet depuis 2012, a déclaré à Fasocheck que cela n’a rien à voir avec l’épidémie de dengue dont le vecteur est le moustiques Aedes aegypti. L’expérience a plutôt pour objectif d’éliminer le paludisme en empêchant la reproduction de l’anophèle femelle responsable du paludisme.

La dengue pas si nouvelle que ça 

La dengue est une arbovirose, une maladie transmise par le virus Flaviviridae lui-même véhiculé par les moustiques et d’autres arthropodes.

Un article scientifique sur la circulation du virus de la dengue en Afrique de l’Ouest publié en 2022 a avancé que la maladie est « endémique dans la plupart des régions tropicales et subtropicales dans lesquelles elle constitue l’une des principales causes de maladie (…)» et que « l’Asie est le continent le plus touché, suivi de l’Amérique et, plus récemment, de l’Afrique ».

Selon une étude sérologique rétrospective réalisée en 1956, la toute première épidémie de dengue documentée en Afrique à ce jour a été enregistrée en 1927 à Durban, en Afrique du Sud. Au Burkina Faso, les premiers cas de dengue ont été déclarés en 1925.

L’Organisation Mondiale de la Santé a indiqué que l’incidence de la dengue au cours des 20 dernières années, a progressé de 505 430 cas en 2000 à 5,2 millions cas en 2019 dans 129 pays. Les raisons sont principalement liées à l’activité anthropique couplée à certains facteurs environnementaux. 

Alors que les vecteurs de la dengue sont susceptibles de s’adapter à un nouvel environnement et aux changements climatiques, aucun traitement spécifique  n’existe encore à ce jour, « en dehors des traitements symptomatiques visant à soulager les malades», prévient  Dr Roch K. Dabiré. Le moyen de prévention le plus recommandé est d’éviter les piqûres de moustiques.

Quatre souches du virus de la dengue sont connues à ce jour : DENV-1, DENV-2, DENV-3 et DENV-4). Un individu est susceptible d’être infecté par chacune d’elles au cours de sa vie. L’immunité acquise après une infection par l’une de ces souches confère une immunité uniquement contre la souche concernée mais pas contre les autres sérotypes.

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Conclusion 

En conclusion, il n’y pas de serres à élevage de moustiques à Bama. Les dispositifs visibles dans les vidéos sont des cases expérimentales servant à tester l’efficacité des produits anti-moustiques. 

Il n’y a pas non plus de lien entre le lâcher de moustiques Anophèles mâles génétiquement modifiés effectué à Bana en 2019 et l’épidémie de paludisme et de dengue en 2023. 


Cet article a été écrit en collaboration avec BenbereVérif dans le cadre de SahelCheck.