Affirmation

« 41% de la population âgée de 18 ans et plus a souffert d'au moins un trouble mental ».

Auteur
Seydou Sourabié, directeur régional des droits humains de la région du Nord
Verdict
Surestimé. L’enquête épidémiologique sur les troubles mentaux au Burkina Faso réalisée en 2021, indique plutôt que le taux de prévalence des troubles mentaux est de 33,49%, en baisse par rapport à 2015 où il s’élevait à 41%.


Malgré des chiffres actualisés  sur la prévalence des troubles mentaux chez les Burkinabè, une statistique de neuf ans continue d’être employée à tort, rendue surtout célèbre par la raillerie populaire.

 

Selon des propos rapportés par l’Agence d’information du Burkina (AIB) et attribués à Seydou Sourabié, directeur régional des droits humains de la région du Nord, « 41% des populations âgées de 18 ans et plus souffrent d’un problème de trouble mental ».  

La publication a été diffusée le 22 octobre 2023, à l’occasion de la journée internationale de la santé mentale, commémorée en différée le 19 octobre 2023, à Ouahigouya. 

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, un trouble mental “se caractérise par une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu”. 

41% de la population burkinabè âgée de 18 ans et plus souffrent-elles vraiment d’un problème de trouble mental ? Fasocheck a vérifié.

Les preuves de l’auteur

Contacté par Fasocheck Seydou Sourabié a indiqué que ses propos ont été mal rapportés et, sa présentation à l’appui, a confié avoir plutôt déclaré qu’au Burkina Faso, selon le plan stratégique de santé mentale 2020-2024, « l’enquête nationale sur les troubles mentaux réalisée en 2015 montre que 41 % de la population générale âgée de 18 ans et plus a souffert d’au moins un trouble mental ».  

Fasocheck a consulté le plan stratégique de santé mentale 2020-2024 du ministère burkinabè de la santé qui rapporte les mêmes données que celles évoquées par Seydou Sourabié.

41% de personnes vivant avec un trouble mental: quand et comment ? 

Le ministère de la Santé lui-même tire le chiffre de 41% de l’enquête épidémiologique réalisée en 2015 sous la supervision du psychiatre Arouna Ouédraogo,  aujourd’hui retraité.  Sollicité par Fasocheck, le Pr Arouna Ouédraogo n’a pas pu fournir une copie intégrale de son étude que  Fasocheck n’a pas  non plus pu consulter malgré la requête formulée à l’endroit du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo. 

 Par la recherche avancée sur internet Fasocheck a pu se procurer sur Science direct le résumé  de l’enquête épidémiologique mis en ligne en septembre 2019. L’investigation a concerné de manière aléatoire 2587 personnes âgées d’au moins 18 ans, dont 1479 femmes et 1108 hommes issus de 840 ménages. L’étude a été menée dans les 13 régions administratives du Burkina Faso avec pour objectif de déterminer la prévalence des troubles mentaux et d’identifier les facteurs qui y sont associés. Les personnes mariées et non mariées, les divorcées, les scolarisées et non scolarisées, les fonctionnaires, les travailleurs du secteur informel, les ménagères, les chômeurs, les retraités, les sans-emploi, les agriculteurs, les éleveurs et les commerçants ont été prises en compte dans l’étude. 

Les enquêteurs ont employé un questionnaire et le Mini-international neuropsychiatric interview (MINI), un outil de diagnostic psychiatrique standardisé utilisé par les professionnels de la santé pour évaluer les troubles mentaux chez les adultes et les adolescents. L’outil MINI observe  entre autres les troubles mentaux  tels que les troubles de l’humeur, de l’anxiété, ceux liés à la consommation de drogue et de l’alcool, les syndromes psychotiques, l’insomnie et le risque suicidaire.

L’enquête a conclu que “ 41,43 % de l’ensemble des participants observés remplissaient les critères d’au moins un des troubles mentaux étudiés d’après le MINI ”.

Selon cette étude, les femmes sont plus affectées par les troubles mentaux que les hommes. Parmi les 1479 femmes interrogées, 46% ont été diagnostiquées avec un trouble mental, tandis que ce chiffre est de 35,01% chez les 1108 hommes ayant participé à l’enquête.

Des données actualisées mais peu connues 

En 2021, le ministère burkinabè de la Santé  a effectué une nouvelle évaluation de la prévalence des troubles mentaux dans le pays.

En 2023, un internaute s’interroge sur le taux de prévalence des troubles mentaux au Burina Faso.

 

L’enquête, qui a été menée dans les 13 régions du Burkina Faso auprès de 5 258 personnes, y compris les Personnes déplacées internes (PDI), a révélé que la prévalence des troubles mentaux au Burkina Faso est estimée à 33,49 % de la population. Ce chiffre est de 41 % chez les personnes déplacées internes.

 

Capture d’écran effectuée le 4 avril 2024

 

Selon les auteurs de l’étude, cette prévalence élevée chez les PDI plus que chez les autres, s’explique par les violences qu’elles ont vécues et à leur situation actuelle précaire. La santé mentale est devenue une question majeure de santé publique depuis l’exacerbation au Burkina Faso en 2018 de la violence consécutive à la crise terroriste qui a causé le déplacement de plus de 2 millions de Burkinabè

Bien que l’étude de 2021 ait révélé une baisse de la prévalence des troubles mentaux au Burkina Faso (33,49%  contre 41%), le chiffre de 41% est couramment invoqué par l’opinion. Cette persistance trouve son origine depuis qu’une interview du Pr Arouna Ouédraogo est devenue virale. Il y indiquait, pour la première fois dans la presse, le chiffre de 41% de Burkinabè vivant avec au moins un trouble mental. Depuis lors, ce chiffre est tourné en dérision surtout sur les réseaux sociaux soit pour se moquer des situations politiques, énergétiques ou dans les railleries de parenté à plaisanterie. 

Les facteurs des troubles mentaux

Trois éléments caractérisent le trouble mental, a indiqué à Fasocheck Rasmata Bakyono, psychologue et enseignante-chercheuse à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Il y a d’abord l’altération de l’humeur, de la pensée ou du  comportement de l’individu. Vient ensuite la détresse psychologique, et enfin l’apparition des difficultés d’adaptation à la vie en société.

Les troubles mentaux, selon le Dr Clément Lankaondé, psychologue clinicien au service de psychiatrie Yalgado Ouédraogo, se manifestent généralement par une désorganisation des « capacités mentales du sujet à rester conscient des actes qu’il pose dans la relation à d’autres », ou par des manifestations hallucinatoires. 

La folie, a-t-il nuancé, est l’appellation péjorative désignant « le trouble mental ».  Elle renvoie, explique-t-il, à une variété de troubles mentaux dont le plus connu est la « schizophrénie », qui est la forme la plus grave des troubles mentaux.

L’individu vivant avec un trouble mental peut ne pas en être conscient, prévient le Dr Rasmata Bakyono. « Souvent c’est son comportement, ses pensées incohérentes qui vont alerter son environnement » prévient -t-elle.

Les troubles mentaux sont liés à des facteurs tels que l’environnement familial, les interactions construites avec l’environnement et la personnalité acquise par le sujet.

Conclusion

La déclaration selon laquelle « 41% de la population âgée de 18 ans et plus a souffert d’au moins un trouble mental  est surestimée. Ce taux était encore valide jusqu’à la dernière évaluation réalisée en 2021 et qui établit à 33,49% la prévalence des troubles mentaux au Burkina Faso. 

 

Rabiatou Congo

X:@CongoRabi

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