Affirmation

« Au Burkina 30% du cheptel meurt à la suite de l’ingestion des sachets plastiques occasionnant une perte de 405 milliards FCFA/an ». Roger Baro, directeur de la prévention des pollutions et des risques environnementaux du ministère de l’Environnement

Auteur
Roger Barro
Verdict
Faux ! Aucune étude d’envergure nationale n’a été jusque-là menée sur la mortalité du cheptel burkinabè par ingestion de sachets plastiques. Les preuves évoquées, en plus d’être obsolètes et parcellaires ont été extrapolées et surtout sorties de leur contexte.


Au Burkina Faso, le ministère de l’Environnement plaide pour l’interdiction totale des sachets plastiques en laissant croire faussement qu’ils sont responsables de la mort de 30% du cheptel du pays.

Dans une interview parue dans le journal Sidwaya du 15 mars 2022, Roger Baro, directeur de la prévention des pollutions et des risques environnementaux du ministère de l’Environnement, qui plaidait pour l’interdiction totale des sachets plastiques, a déclaré qu’ « au Burkina 30% du cheptel meurt à la suite de l’ingestion des sachets plastiques occasionnant une perte de 405 milliards FCFA/an ».

L’ingestion des sachets plastiques provoque-t-elle la mort de 30% du cheptel burkinabè ?

Les preuves de Roger Barro

Contacté par Fasocheck, Roger Baro reconnaît ses propos. Il indique avoir tiré ces chiffres d’une affiche produite par le ministère de l’Environnement  en 2014, lors d’une campagne de sensibilisation contre les sachets plastiques. L’affiche elle-même, soutient-il, se fonde sur la note de plaidoyer produite par le ministère de l’Environnement en vue de défendre à l’Assemblée nationale le projet de loi sur l’interdiction des sachets plastiques non biodégradables. Roger Baro n’a cependant pas pu fournir à Fasocheck la note de plaidoyer.

L’affiche du ministère de l’environnement susmentionnée

Qu’est-ce qu’un cheptel ?

L’Organisation internationale de la santé animale (OIE), définit le cheptel comme « un groupe d’animaux d’une espèce donnée élevés ensemble sous le contrôle de l’homme ou un rassemblement d’animaux sauvages grégaires ». Il renvoie aussi à l’ensemble des animaux d’élevage d’un territoire ou d’un pays et se compose principalement de bovins, d’ovins, de caprins, de porcins, d’équins, d’asines et de volailles, d’après le Dr Adama Maiga, directeur général des services vétérinaires du Burkina Faso.

Fasocheck a contacté Abou Traoré. Actuel chef du service Environnement industriel et prévention des risques environnementaux, il était de 2016 à 2017, le chargé de suivi-évaluation du Projet national sur le traitement et la valorisation des déchets plastiques (PNTVDP).

Selon Abou Traoré, le ministère de l’Environnement n’a pas encore mené une étude sur l’impact des déchets plastiques sur le cheptel. Le chiffre des 30% indiqué sur l’affiche, soutient-il, provient du mémoire présenté en juin 2000 par un étudiant, Brama Barro, pour l’obtention de son diplôme en ingénierie du développement rural à l’Université polytechnique de Bobo-Dioulasso.

Que dit l’étude de Brama Barro et a-t-elle vraiment abouti à ce chiffre ?

Fasocheck a consulté le mémoire de Brama Barro qui pour évaluer les risques d’exposition des animaux aux sachets plastiques dans la ville de Bobo-Dioulasso, a systématiquement inspecté pendant 5 mois les panses de 3200 bovins et  de 3360 petits ruminants (chèvres et moutons) abattus dans l’abattoir de la ville. Le chercheur a aussi pendant 6 mois recueilli les témoignages de 46 éleveurs sur les cas de présence de sachets plastiques dans les panses de leurs animaux morts ou abattus.

Résultats ? De l’ensemble des animaux de son étude, 28,6% de petits ruminants et 28,9% de bovins abattus à l’abattoir de Bobo-Dioulasso avaient du plastique dans leurs estomacs. En tenant compte de la provenance de ces animaux, Brama Barro conclut que si les animaux d’origine urbaine, (notamment Bobo-Dioulasso) ne constituaient que 23,25% de la population de son étude, c’est chez eux que l’on a retrouvé le plus grand taux de sachets plastiques, soit 30,4%. Chez  les animaux de la campagne, il est de 28,21%.

86% des 46 élevages auprès desquels le chercheur a enquêté avaient enregistré des  morts d’animaux par ingestion de plastiques, 18,26% pour les petits ruminants et 9,88% pour les bovins.

De quoi meure vraiment le cheptel burkinabè ? 

Le cheptel du Burkina Faso est composé essentiellement de la volaille (50%) et  des ruminants  (44%), selon la dernière Enquête nationale sur le cheptel de 2018.

Dans son édition de 2018, qui compile les données de la décennie 2009 à 2018, l’annuaire statistique de l’élevage  du ministère des ressources animales recense plutôt chez les bovins des maladies comme la fièvre aphteuse, la pasteurellose, la péripneumonie contagieuse bovine et le charbon.

Quant aux petits ruminants, ils mouraient plus du fait de la peste des petits ruminants, la clavelée et la pasteurellose. Sur la même période, la maladie de Newcastle et la grippe aviaire ont particulièrement décimé les effectifs de la volaille.

L’annuaire ne répertorie pas les autres potentielles causes de mortalité, tels que les accidents de la route, les empoisonnements dus aux pesticides et à la pollution des eaux et des pâturages.

Il ne fait pas non plus figurer les sachets plastiques parmi les principales causes de mortalité du cheptel. Les données sur les quantités de sachets plastiques déversées dans la nature et leur ingestion par le cheptel sont limitées et très parcellaires de sorte que l’on ne dispose pas d’une vue globale sur le phénomène. La toute récente étude sur le sujet réalisée à l’abattoir de Dori, entre février et juin 2021 sur 600 animaux (200 bovins, 200 ovins et 200 caprins), montre que des sachets plastiques avaient été retrouvés dans les panses de 30% des bovins, de 31,5% des ovins et de 23% des caprins.

Le sachet plastique, tout de même un danger pour le cheptel 

Une fois ingérés par les animaux,  les sachets plastiques s’accumulent dans leurs panses les empêchant d’ingurgiter en quantité suffisante les aliments et provoquant chez eux une perte de poids, voire la mort, a expliqué le Dr vétérinaire Adama Maiga. « Les sachets plastiques, insiste-t-il, impactent tout le cheptel même si les herbivores en sont le plus touchés. » Car, en plus de bloquer l’infiltration des eaux dans le sol, les sachets plastiques dégradent les pâturages.

Par une loi de 2014, le Burkina Faso a opté pour la production, l’importation, la commercialisation et la distribution de sachets plastiques biodégradables, censés se détruire naturellement après 5 ans sous l’action du soleil.

Mais dans les faits, constate Adama Ouédraogo, chef du service suivi de la qualité de l’environnement du Laboratoire d’analyse de la qualité de l’environnement (LAQE), les sachets commercialisés au Burkina Faso et présentés comme biodégradables depuis 2014 ne le sont pas entièrement. Ils sont plutôt, relève l’expert, oxobiodégradables, car se fragmentant sous l’action du soleil. Ces sachets contiennent également des métaux lourds comme le cobalt, le manganèse et le fer qui sont dangereux pour la santé et l’environnement.

Conclusion  

La déclaration de Roger Baro qui elle-même est un écho d’une affiche du ministère de l’Environnement est fausse. L’étude de Brama Barro à laquelle se réfèrent le ministère de l’Environnement et Roger Baro n’indique nulle part que 30% du cheptel est décimé à cause de l’ingestion des sachets plastiques au Burkina Faso.

Le chiffre de 30,4% avancé par Brama Barro n’est pas représentatif de l’ensemble du cheptel du Burkina. Il se rapporte exclusivement à l’inspection des panses des bovins issus de Bobo-Dioulasso et qui ont été abattus dans l’abattoir de cette ville. Par ailleurs, les sachets plastiques ne sont pas la cause de la mort de ces bovins quand bien même le chercheur a trouvé des sachets dans leurs estomacs.

Enfin il n’y a pas d’étude d’envergure nationale qui ait déjà été conduite sur le sujet et le système statistique du ministère de l’Elevage ne prend pour le moment pas en compte les sachets plastiques comme l’une des principales causes de la mortalité du cheptel.

 

Fact-chekeur

 Adnan Sidibé

@SidibeAdnan

Editeurs

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Boureima Salouka

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