Affirmation

« Si nous arrivons à exploiter ce forage Christine ça peut alimenter tout le Burkina sans que l’on ait à tirer une seule goûte de nos rivières.» a affirmé Eddie Komboïgo, candidat à la présidentielle de 2020 au Burkina Faso.

Auteur
Eddie Komboïgo, candidat à la présidentielle de 2020 au Burkina Faso
Verdict
Faux ! Les capacités de production maximale du complexe Christine sont largement en deçà des besoins annuels en eau potable des Burkinabè.


Parlant de l’accès des populations à l’eau potable, Eddie Komboïgo alors  candidat à l’élection présidentielle de novembre 2020 a déclaré : « Si nous arrivons à exploiter ce forage Christine ça peut alimenter tout le Burkina sans que l’on ait à tirer une seule goûte de nos rivières, également ça peut servir au Mali et au Niger». L’ancien chef de file de l’opposition l’a affirmé  lors de l’émission « Un candidat, un programme » du 15 novembre 2020 sur la télévision nationale burkinabè.

 

Fasocheck a cherché à vérifier cette déclaration durant de longs mois. Ce 22 mars, déclarée journée mondiale de l’eau, Fasocheck a décidé de présenter les résultats de ses recherches au moment où le gouvernement de la Transition au Burkina Faso a lancé un programme d’eau potable pour tous.

Le forage Christine peut-il à lui seul couvrir les besoins en eau potable du Burkina Faso ? Fasocheck a vérifié.

Les preuves d’Eddie Komboïgo

Fasocheck a contacté Eddie Komboïgo. Comme preuve, il a remis un document qu’il prétend être le seul à détenir au Burkina Faso. Il s’agit en fait d’une publication datant de décembre 1980 de l’Office de la recherche scientifique et technique outre-mer (ORSTOM), l’ancêtre de l’actuel  Institut de recherche pour le développement (IRD), relative aux travaux du géographe Michel Benoît intitulé  « Seno Mango- Réflexions à propos du forage Christine et de la vie pastorale dans le nord-ouest de l’Oudalan ».

Fasocheck avait déjà connaissance de ce document consultable sur le site web de l’IRD. Michel Benoît y relate la vie pastorale des  années 1970 dans la région de l’Oudalan. Il véhicule les opinions des populations locales sur une éventuelle réouverture du forage Christine après la guerre de 1974 entre le Mali et le Burkina Faso (Haute-Volta à l’époque). Nulle part dans les 182 pages du document ne figure de données sur les capacités de production d’eau potable du forage Christine.

C’est quoi le forage Christine ?

Construit en 1971 par un ingénieur français qui lui a donné le nom « Christine » en hommage à son épouse, le forage Christine  est situé à Déou dans la province de l’Oudalan, dans l’extrême Nord du Burkina Faso. Il a été ouvert en 1972  et sert essentiellement à l’abreuvage de bétail venu du Mali, du Niger et du Burkina Faso.

Le  forage Christine est situé sur une formation sédimentaire qui au Burkina Faso représente 20 % du territoire contre 80 % de socle cristallin.

Selon les hydrogéologues, une formation sédimentaire est constituée de roches perméables à l’eau (sable, grès non consolidé …) tandis que le socle cristallin est un ensemble de roches non perméable à l’eau (granites, schistes …). La partie sédimentaire regorge d’importants stocks souterrains d’eau grâce à la forte infiltration.

Le réseau hydrographique du  Burkina Faso est subdivisé en quatre bassins :

– le bassin du Niger,

– le bassin du Nakambé,

– le bassin du Mouhoun,

– le bassin de la Comoé.

Un bassin hydrographique est une surface géographique maximale où un cours d’eau reçoit les eaux de pluies. Techniquement l’évaluation de la quantité d’eau de surface et souterraine se fait selon  cette délimitation territoriale des eaux, a expliqué à Fasocheck l’hydrogéologue Lucien Damiba.

La région  administrative burkinabè du Sahel, où se trouve le forage Christine, est dans le bassin du Niger qui s’étend dans 3 autres régions administratives du Burkina Faso, (le Centre-Nord, le Nord et l’Est) soit une superficie de 83 442 km2 qui équivaut à  30 % du territoire burkinabè.

Que sait-on des réserves d’eau souterraine du Burkina Faso ?

Les réserves d’eaux souterraines du Burkina Faso ont été évaluées en 2001 à environ 302 milliards de m3 par le programme de Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) qui estime la part annuellement renouvelable de ces réserves à 12,4 milliards de m3 seulement 4%.

Ces estimations sont les plus récentes et ont été reprises par la Banque mondiale en septembre 2017 dans une étude consacrée à l’amélioration de la connaissance et de la gestion des eaux du Burkina Faso.

Le programme GIRE  évalue la réserve souterraine d’eau du bassin du Niger à  58 milliards  610 millions de m3. Cette quantité fait du bassin du Niger le plus petit bassin hydrographique du Burkina Faso après le Mouhoun (74 milliards 996  millions de m3), le Nakambé (80 milliards  173 millions de m3) et la Comoé (88 milliards  080 millions de m3).

Bassins Réserves totales

Réserves renouvelables

Niger 58 610 5 072
Nakanbé 80 173 6 105
Mouhoun 74 996 494
Comoé 88 080 695
Total 301 859 12 366

Source : Evaluation des ressources en eau, GIRE, 2001

Le potentiel  d’eau du forage Christine

Les connaissances sur les capacités du forage Christine sont parcellaires. En 1972, lors de sa mise en service, il avait un débit maximal de 120 m3/h. Saboté successivement en 1976 et en 1985 lors des deux guerres Mali – Burkina Faso, le forage Christine sera réhabilité en 1996 avec deux forages respectivement de 60 m3 /h et de 18 m3 /h. L’ensemble de ces trois forages constituent ce qu’on appelle le complexe forage Christine dont les débits cumulés font  198 m3 / h.

Pour estimer la capacité de production annuelle du complexe forage Christine, Fasocheck a considéré le débit cumulé des 3 forages (198 m3 / h) qu’il a multiplié par 24 qui correspond au nombre d’heures d’une journée. Ce produit a été multiplié par 365 représentants le nombre de jour d’une année. Les capacités annuelles sont estimées à 1. 734.480 m3 soit 1.734.480.000 litres.

Les besoins en eau du Burkina Faso

Le Programme national d’approvisionnement en eau potable 2016 – 2030 estime au Burkina Faso les besoins quotidiens en eau potable par habitant à 20 litres en milieu rural contre 57 litres en milieu urbain.

Selon le dernier recensement général de la population réalisé en 2019, le Burkina Faso compte 20 505 155 habitants. 73,8 % de cette population, soit 15 145 043 habitants vit en milieu rural. Quant aux citadins, ils sont 5 360 112 habitants.

En se fondant sur la structure démographique selon le lieu de résidence et sur la base des besoins en eau potable formulés par le Programme national d’approvisionnement en eau potable, Fasocheck a estimé le besoin annuel en eau potable du Burkina Faso à 222 075 944 060 litres  soit 222 075 944, 060 m3.

Cette estimation a été établie de la sorte : (15 145 043 X 20 litres) x 365 + (5 360 112 X 57 litres) x 365 = 222 075 944 060 litres (222 075 944,060m3).

Selon le tableau de bord statistique de 2019, le volume d’eau  produit par l’Office nationale de l’eau et de l’assainissement (ONEA) en 2019 était de  109 millions m3 alors qu’elle avait une capacité de production journalière de   444 699 m3 soit annuellement 162 315 135 m3.

En 2030 le programme national d’approvisionnement en eau potable projette que les besoins en eau potable du Burkina Faso seront de 362 454 162 m3 soit 362 454 162 000 litres  pour une population estimée à  28 671 700 habitants.

En comparant le potentiel d’eau du forage Christine aux besoins actuels en eau potable du Burkina Faso, il apparait que les capacités de production maximale du complexe Christine (1.734.480.000 litres)   sont 128 fois en deçà des besoins annuels en eau potable des Burkinabè (222 075 944 060 litres).

Que disent les experts ?

Fasocheck a soumis la déclaration de Eddie Komboïgo à des experts. Pour l’hydrogéologue Mamadou Lamine Kouaté, le forage Christine ne peut pas satisfaire les besoins en eau potable du Burkina Faso.

« Dans toute  la zone du nord, du forage Christine à Déou jusqu’à la frontière du Mali, en venant vers Ouahigouya et jusqu’à la frontière du Niger, il y a des nappes successives qui sont d’une certaine importance mais prétendre qu’elles peuvent approvisionner tout le Burkina Faso en eau, c’est non », a tranché cet ancien directeur général de l’ONEA qui a conduit plusieurs études  sur les ressources en eau du Burkina Faso.

« A ce jour, conteste le directeur de l’Agence de l’Eau du Liptako, Jean Baptiste Zongo, il n’existe aucune donnée qui permet d’affirmer que la nappe d’eau du forage Christine peut alimenter tout le Burkina Faso en eau potable ».

L’Agence de l’Eau du Liptako est l’organisme public qui s’occupe des ressources en eau du bassin du Niger  dont relève le forage Christine.

Fasocheck a sollicité sans succès l’expertise du Dr Youssouf Koussoubé du laboratoire  d’hydrogéologie de  l’Université Joseph Ki-Zerbo.

Conclusion

Eddie Komboïgo n’a pas été en mesure d’étayer sa déclaration avec des preuves valables. Le document qu’il a fourni, en plus de ne contenir aucune information chiffrée sur les capacités de production en eau potable du forage Christine est un document anthropologique sans rapport établi avec l’hydrogéologie.

En comparant le potentiel d’eau du forage Christine aux besoins en eau potable du Burkina Faso, il ressort  que les capacités de production maximale du complexe Christine (1.734.480.000 litres) sont 128 fois en deçà des besoins annuels en eau potable des Burkinabè (222 075 944 060 litres).

En conclusion l’affirmation de Eddie Komboïgo selon laquelle le forage Christine peut à lui seul satisfaire les besoins en eau potable du Burkina Faso est fausse.

Fact-checkeur

Harouna Drabo

Editeur

Boureima Salouka