« La BCEAO paie 45 millions d'euros/an à la France pour la fabrication de ses billets ». Chronique 225, sur Twitter, le 5 avril 2023
Tout ce qui touche au franc CFA déchaîne les passions jusqu’aux affirmations les plus farfelues comme celle véhiculée par Chronique 225, une page satirique qui soutient faussement que la BCEAO dépense annuellement 45 millions d’euros pour la fabrication de ses billets. Sous-estimé !
Dans un tweet du 27 mars 2023, la page « Chroniques 225 », qui comptabilise 43 000 abonnés, a déclaré que « La BCEAO paie 45 millions d’euros/an à la France pour la fabrication de ses billets » en citant Africa24 comme source. La publication a enregistré plus de 60 000 vues, 66 commentaires et 192 partages à la date 5 avril 2023 à 13h 30 mn.
La Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) paie-t-elle vraiment 45 millions d’euros (soit 29 milliards de franc CFA) par an à la France pour la fabrication de ses billets ? Fasocheck a vérifié.
Un chiffre fantaisiste
Chroniques 225 est un compte twitter spécialisé dans les faits divers. Contactés par Fasocheck, les administrateurs du compte n’ont jusqu’à présent pas fourni des preuves de leur déclaration.
Fasocheck a consulté les plateformes numériques du média Africa 24 et n’a trouvé nulle part des traces de la déclaration qui leur ait attribuée.
Fasocheck a consulté le dernier état financier de la BCEAO. Il date de 2022 et renseigne qu’au cours de cette année la production des signes monétaires a coûté 37,498 milliards FCFA soit 56 millions d’euros. Un état financier est un document comptable qui informe sur la vie financière d’une institution.
Les signes monétaires ne sont que les supports de la monnaie fabriqués à base de métaux et de bois (pour la fabrication du papier) a expliqué à Fasocheck, le Pr Hamidou Sawadogo, enseignant-chercheur en économie monétaire et financière à l’Université Joseph-Ki-Zerbo. “Ces supports ne deviennent une monnaie que lorsqu’on leur ajoute des emblèmes et des signatures (celles du président du conseil des ministres de l’espace UEMOA et du gouverneur de la BCEAO) qui attestent que l’autorité confère un pouvoir d’achat au billet ou à la pièce” a-t-il détaillé.
Des dépenses plus élevées
Dans les états financiers de la BCEAO de 2018 à 2022 que Fasocheck a consultés, les données relatives aux dépenses pour l’acquisition des signes monétaires ne sont pas désagrégées suivant que la commande porte sur des billets ou sur des pièces d’argent.
Sur la base de ces états financiers, Fasocheck a observé l’évolution des dépenses liées à la production des signes monétaires dans l’espace UEMOA. Ces dépenses sont passées de 23, 266 milliards de F CFA (35 millions d’euros) en 2018 à 37, 498 milliards de FCFA (56 millions d’euros) en 2022.
La BCEAO explique que cette augmentation est entre autres, due au coût élevé des matières premières, de la technologie utilisée pour la fabrication des billets de banque et à la forte demande fiduciaire dans les 8 pays membres de l’ UEMOA.
La BCEAO dans un bulletin d’information a expliqué que les billets et les pièces de monnaie sont commandés puis fabriqués en fonction des besoins en signes monétaires neufs des pays membres de l’UEMOA. Ces besoins sont évalués en tenant compte de « l’évolution de l’activité économique et des volumes nécessaires au remplacement des signes monétaires à retirer de la circulation compte tenu de leur degré d’usure ».
Evolution des dépenses liées à l’achat des signes monétaires (en millions de F CFA)
Dépenses |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
Achat de signes monétaires |
23 266 |
38 298 |
36 986 |
38 200 |
37 498 |
Source : Etats financiers de la BCEAO de 2018 ; 2019 ; 2020 ; 2021 ; 2022
En tout, entre 2018 et 2022, soit 5 ans, la BCEAO a dépensé 174,248 milliards de Francs CFA (267 millions d’euros) dans l’achat des signes monétaires.
En se fondant sur ce montant, Fasocheck a estimé que la BCEAO a dépensé annuellement, entre 2018 et 2022, 34, 849 milliards de F CFA (54 millions d’euros). Ce montant moyen de 54 millions d’euros est supérieur à celui de 45 millions d’euros, avancé par Chroniques 225.
Fabriqué en France, oui. Mais pas par l’Etat français
Les billets de la BCEAO sont confectionnés par l’imprimerie de la Banque de France, basée à Chamalières dans le centre de la France.
La Banque de France, dont le siège est à Paris, est une institution publique sui generis (NDLR : terme juridique qui renvoie au caractère spécifique d’une situation juridique) régie par le Code monétaire et financier français. Elle possède également sa papeterie, une filiale implantée à Vic Le Comte et qui produit le papier utilisé dans la fabrication des billets de banque.
La Banque de France est Membre de l’Eurosystème qui rassemble la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des pays dont l’euro est la monnaie. “Dans l’exercice des missions qu’elle accomplit à raison de sa participation au Système européen de banques centrales, la Banque de France, en la personne de son gouverneur ou de ses sous-gouverneurs ne peut ni solliciter ni accepter d’instructions du Gouvernement ou de toute personne” et “il lui est interdit d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publics” peut on lire dans les statuts de l’organisation.
L’imprimerie de la Banque de France, spécialisée dans la confection des billets de banque, fabrique aussi une partie des billets de 20 euros et « produit également des billets d’autres devises, qu’elle exporte vers une vingtaine de pays » a fait savoir l’institution sur son site web.
Les billets de francs CFA sont fabriqués en France, parce que les « entreprises disposant de la technologie nécessaire à la fabrication de signes monétaires sécurisés sont rares sur le continent africain », a expliqué le Pr Hamidou Sawadogo.
Le CFA mais aussi d’autres monnaies africaines
Le franc CFA n’est pas la seule monnaie africaine imprimée hors du continent. Selon Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF), 17 pays africains font imprimer leur monnaie au Royaume-Unis chez De La Rue, tandis que 6 autres le font en Allemagne auprès de l’entreprise Giesecke + Devrient (G+D).
Le CERMF indique que 9 pays africains fabriquent eux-mêmes leur monnaie nationale. Il s’agit de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, de l’Égypte, du Ghana, du Kenya du Maroc, du Nigeria, de la République démocratique du Congo (RDC) et du Soudan.
Les monnaies africaines fabriquées hors du continent
France (21) |
Allemagne (06) |
Royaume-Unis (17) |
Bénin Burkina Faso Côte d’Ivoire Guinée-Bissau Mali Niger Sénégal Togo Cameroun Congo Gabon Guinée équatoriale Centrafrique Tchad Comores Madagascar Djibouti Tunisie Burundi Namibie Zambie |
Érythrée Mauritanie Soudan du Sud Eswatini Tanzanie Zambie |
Angola Botswana Cap-Vert Éthiopie Gambie Guinée Lesotho Libye Malawi Maurice Mozambique, Ouganda Rwanda Sao Tomé-et-Principe Seychelles Sierra Leone Tanzanie |
Source : Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone
NB : La Zambie imprime le Kwacha à la fois en France et en Allemagne. Et la Tanzanie imprime ses billets à la fois aux USA, en Angleterre et en Allemagne
Le passage du F CFA à l’Eco
Créé le 26 décembre 1945, le franc CFA est une monnaie aujourd’hui commune à 14 pays africains membres de la Zone franc regroupés en deux banques centrales dont la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) et la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC).
Taxée d’instrument de domination économique de la France sur ses anciennes colonies en Afrique, cette monnaie est dénoncée par certains leaders d’opinion de la société civile africaine et de la diaspora.
La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) a décidé de créer une monnaie unique depuis 1983. Après des décennies de léthargie, la CEDEAO a, en 2020, annoncé la création de l’Eco, une nouvelle monnaie en remplacement du franc CFA. Selon l’institution, cette monnaie commune à ce jour à quinze pays ouest-africains devrait entrer en vigueur en 2027.
Conclusion
La déclaration selon laquelle la BCEAO paie 45 millions d’euros par an à la France pour la fabrication de ses billets est sous-estimée. Sur la base des dépenses effectuées par la BCEAO entre 2018 et 2022, Fasocheck a estimé à 54 millions d’euros soit 34, 849 milliards de francs CFA, les dépenses moyennes annuelles de la BCEAO pour l’achat de ses signes monétaires, billets et pièces de monnaies confondus. Par ailleurs, les billets du franc CFA sont commandés auprès de l’imprimerie de la Banque de France et non auprès de l’Etat Français.
Fact-checkeur
Dô Dao
Twitter : @DaondorolaDo
Editeur
Jordan Meda
Twitter : @MedaLevi