Burkina Faso : l’agriculture souffre de la crise sécuritaire

La crise sécuritaire qui sévit au Burkina Faso depuis 2015 a contraint de nombreuses personnes à quitter leurs zones d’habitation. Ces populations, en majorité agriculteurs, se retrouvent confrontées à de nouveaux défis, notamment l’accès aux terres cultivables et les restrictions de mobilité imposées à la fois par les autorités locales et l’insécurité. Cette situation a considérablement affecté la production de maïs. 

Natif de Boaré à 15 km de Tougan dans la région de la Boucle du Mouhoun, Bia Drabo a consacré près de 45 ans à la culture du maïs. La soixantaine révolue, il exploitait un champs de quatre hectares, récoltant entre 35 et 40 sacs de maïs (100 kg par sac) par saison, ce qui lui permettait de subvenir aux besoins alimentaires de sa famille. “La crise sécuritaire nous a contraints à fuir vers Tougan, emportant seulement une partie de nos récoltes et laissant derrière nous nos outils agricoles” affirme, mélancolique, le ressortissant de Boaré enfoncé dans une chaise dans sa maison en banco. 

Aujourd’hui, installé sur une parcelle achetée par son père en 1973, Bia Drabo, a en charge une vingtaine de personnes. Il se trouve donc confronté au défi de leur prise en charge étant donné que les terres cultivables se font rares à Tougan, la terre qui l’accueille. Alors que, dans son village d’origine, les terres étaient accessibles, la situation est bien différente pour les déplacés internes dans la ville. “À Boaré, nous savions comment obtenir des terres. Ici, c’est une autre réalité”, explique-t-il, soulignant la difficulté croissante pour les déplacés de trouver des terres appropriées au regard de leur nombre.

À des centaines de kilomètres de Tougan, Onno Hamidou, 63 ans, partage une expérience similaire. Originaire d’Arbinda, Onno Hamidou cultive le maïs depuis belle lurette. “J’ai grandi dans la culture du maïs, car ayant trouvé mes parents déjà engagés dans cette activité” indique-t-il. Avec une récolte d’environ 20 sacs pour 4 hectares de superficie, Hamidou a dû fuir les attaques des groupes armés terroristes qui ont incendié ses récoltes en 2019, pour trouver refuge à Dori, ville située dans le nord-est du Burkina, où il vit désormais avec sa famille.

 Onno Hamidou, dans son petit champs à Dori

Vêtu d’un boubou kaki, c’est dans une parcelle clôturée d’à peine 100 m² dans laquelle tient une maisonnette inachevée, que Hamidou présente les quelques épis qui lui servent à présent de champ de maïs. Depuis le 6 août 2021, le Gouverneur de la Région du Sahel a interdit la culture de vivre à hauteur telles que le maïs dans les chefs-lieux de communes, près des postes de contrôle et le long des grandes voies. Hamidou voit ses chances de récolter plus de sacs pour les besoins de sa famille se réduire. “Bien que des terres nous aient été données par la population hôte, les restrictions imposées par le gouvernorat nous empêchent de cultiver du maïs ou du mil” confie-t-il, avant d’ajouter être obligé de produire des haricots et des arachides. 

 

Les histoires de Bia Drabo et Onno Hamidou illustrent les défis des déplacés internes au Burkina Faso. Confrontés à des difficultés d’accès aux terres et à des restrictions agricoles, ils peinent à subvenir aux besoins de leurs familles, ce qui a un impact sur prévision de la production agricole nationale. La grande raison, la crise sécuritaire qui sévit dans les régions Nord et Est du pays.


La crise sécuritaire que connaît le Burkina Faso depuis 2015 a entraîné un déplacement massif de populations. Les dernières données disponibles font cas de 2,062,534 de personnes déplacées internes (PDI) à la date du 31 mars 2023.
Ces déplacements, explique Dr Inoussa KY, expert en sécurité alimentaire, ont une conséquence significative sur la production agricole, notamment dans les régions les plus touchées par l’insécurité.

Répartition des PDI, par région d’accueil, sur l’ensemble du territoire burkinabè à la date du 31 mars 2023

   

En 2022, ajoute-t-il, la superficie emblavée de maïs a chuté de 10,5 % par rapport à 2021 ; alors qu’au Burkina Faso, l’agriculture repose essentiellement sur des méthodes traditionnelles, ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’une production intensive. “Ainsi, si les superficies sont réduites, il en résulte une diminution de la production”, explique le Dr Ky.

 

Production et de la superficie emblavée de maïs au Burkina Faso Source : Ministère de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques

 

Selon les données du ministère de l’Agriculture, la production de maïs au Burkina Faso a légèrement diminué en 2021. Cette baisse, bien que modeste à l’échelle nationale, contraste fortement avec la chute marquée dans les régions gravement affectées par la crise sécuritaire, notamment dans le Nord.

Alors qu’en 2022, le Burkina Faso connaissait deux coups d’État, dont le premier en janvier et le second en septembre, la production nationale a encore reculé de -2,3 % par rapport à l’année précédente. Cependant, cette moyenne dissimule des disparités régionales significatives, comme dans la région de l’Est, où la production a chuté de -22 %.

 

Production de maïs (2015-2023) dans les régions affectées par l’insécurité au Burkina Faso comparées à une région (Hauts-Bassins) moins touchée 

 

Commerçant de maïs au secteur 3 de Ouahigouya, ville située à 190 km au nord de Ouagadougou, Sidi Mohammadi Porgo, voit son activité ralentir. Ouahigouya n’est pas une région réputée pour sa forte production de maïs, par conséquent, ici, on s’approvisionne dans d’autres localités du pays pour répondre aux besoins du marché, selon Sidi Mohamed Porgo qui précise qu’ “avec l’impraticabilité de certaines routes du fait de la crise sécuritaire, il nous est difficile de satisfaire à la demande des consommateurs” .


Le commerçant explique que les fournisseurs sont souvent obligés d’emprunter des voies plus longues, des mesures qui impactent les prix. Le prix du sac de maïs qui coutait environ 15 000 FCFA dans cette zone avant la crise, se vend aujourd’hui à près de 23.500 FCFA.

Lorsque les gens sont déplacés, ils ne peuvent plus continuer à cultiver, rappelle Haidara Ouédraogo, agriculteur et responsable de la coopérative Sougri-nooma, qui regroupe une cinquantaine de producteurs de maïs. Même réinstallés,  ces derniers ne sont pas autorisés à cultiver des vivres Rohr (NDLR : des cultures à tige hautes), rajoute Haidara.  Par exemple, « à Youba, proche de Ouahigouya, des membres de notre coopérative ont été réinstallés, mais ne peuvent pas produire de maïs » a-t-il conclu. 

 

 Nombre de personnes déplacées internes à Ouahigouya

Le Dr Inoussa KY explique que la sécurité alimentaire se fonde sur quatre piliers que sont la disponibilité, l’accessibilité, l’utilisation et la stabilité.  « Lorsque certains marchés dysfonctionnent en raison de l’insécurité, il est inévitable que l’accessibilité devienne coûteuse », explique le Dr Ky, expert en sécurité alimentaire. Les changements dans les habitudes alimentaires deviennent alors inévitables. « Par exemple, si une personne est habituée à consommer un aliment ou une boisson particulière et que cet aliment ou cette boisson devient indisponible, elle est obligée d’adapter ses habitudes alimentaires », explique l’expert en sécurité alimentaire qui ajoute que cela peut poser des problèmes liés aux préférences alimentaires. Ces changements peuvent se traduire par des problèmes tels que la malnutrition touchant particulièrement les personnes vulnérables comme les femmes enceintes et les enfants.

De plus, l’insécurité alimentaire entraîne une baisse de la fréquentation scolaire. Le Dr Ky a souligné que « les parents qui dépendaient autrefois de l’agriculture pour assurer l’éducation de leurs enfants ne peuvent désormais plus les envoyer à l’école ». Par conséquent, le nombre d’abandons scolaires augmente, ce qui met les enfants dans une situation difficile.

Des mesures gouvernementales pour soutenir la production agricole face à la crise

Face à cette situation, le gouvernement burkinabè a pris plusieurs mesures pour soutenir la production agricole. Parmi celles-ci, on trouve la distribution de semences résistantes à la sécheresse, la formation en techniques agricoles adaptées aux nouvelles conditions climatiques et des subventions pour l’achat d’intrants agricoles.  Ces initiatives visent à renforcer la résilience des agriculteurs et à assurer la sécurité alimentaire du pays.

D’après Haidara Ouédraogo, la crise a certes complexifié l’accès aux semences et intrants agricoles dans certaines localités, “Mais cette année, le gouvernement a subventionné le prix de l’engrais, ce qui nous permet d’espérer de meilleures productions”.

Face à la crise sécuritaire persistante, les agriculteurs burkinabè, comme Bia Drabo et Onno Hamidou, doivent redoubler d’ingéniosité pour s’adapter. À Bama, le Dr Ky rapporte que si certains déplacés internes se reconvertissent dans la production d’autres spéculations, telles que le riz, d’autres entreprennent des travaux de drainage pour garantir une irrigation adéquate de leurs cultures de maïs, malgré les conditions humides. Par ces actions, les producteurs démontrent une capacité à diversifier leurs activités agricoles pour assurer leur subsistance. Bien que la situation reste précaire, ces efforts laissent entrevoir une lueur d’espoir pour l’avenir de l’agriculture au Burkina Faso, où la détermination et l’innovation des cultivateurs jouent un rôle crucial dans la lutte pour la sécurité alimentaire.

Adnan Salif H. SIDIBE

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